Contexte et perception du phénomène
Présents lors des manifestations pour la Palestine à Berne le 11 octobre, à Genève une semaine plus tôt et à Lausanne le 19 septembre, les black blocs ont suscité un important retentissement médiatique ces derniers jours. Des responsables politiques ont dénoncé des groupuscules violents d’extrême gauche et ont appelé à accroître la surveillance.
Une identité non structurée mais caractéristique
Le black bloc n’est pas un groupe structuré et il n’existe pas de définition universelle. Cependant, police, participants et spécialistes retiennent certains traits: visage masqué pour l’anonymat, vêtements noirs et entrée en tête du cortège dans une configuration compacte, souvent derrière une ou plusieurs banderoles. Ces éléments peuvent être adoptés par des individus isolés ou par des membres de divers collectifs.
Une organisation décentralisée et flexible
Selon plusieurs interlocuteurs, le black bloc représente plutôt une méthode d’action liée aux manifestations que une entité distincte et spécialisée. Pascal Viot, sociologue spécialisé en urbanisme sécurisé pour les manifestations dans l’État de Vaud, rappelle que certains groupes existent déjà et participent pour chercher l’affrontement, mais que l’ensemble peut se former en fonction des circonstances.
Hugo*, étudiant d’une vingtaine d’années impliqué dans des blocs depuis environ trois ans, précise que le black bloc n’est pas une catégorie fixe mais une manière d’expression adoptée par différents collectifs. Il souligne que certains blocs peuvent être défensifs, d’autres plus offensifs, et que le choix dépend du collectif, de la répression policière et du contexte politique (par exemple lors de manifestations contre des événements tels que le WEF, le G7 ou pour la Palestine).
Droit de manifester et rôle du bloc en tête du cortège
La dynamique est aussi guidée par la volonté de préserver un droit absolu à manifester et de répondre aux violences policières. Selon des participants, le droit de manifester implique que la police facilite le passage et non qu’elle le bloque; lorsque ce passage est entravé, le black bloc peut se placer comme une zone tampon entre les forces de l’ordre et le reste du cortège.
Le bloc s’interpose ainsi à l’avant des manifestations, entre les barrages policiers et le reste du cortège. Cette approche est toutefois nuancée par la police genevoise, qui rappelle que les instructions doivent être respectées et que des actions peuvent être entreprises en cas d’agression, de dégradation des biens ou de tentative de franchissement des cordons.
Affinités de gauche radicale et origines du phénomène
Pour Marco Giugni, professeur à l’Université de Genève, l’apparition des black blocs remonte aux mobilisations altermondialistes de la fin des années 1990 et s’inscrit dans une idéologie anti‑impérialiste, anti‑étatique et anarchiste portée par des milieux de gauche radicale.
Selon lui, ces groupes combinent un volet instrumental, destiné à obtenir une réponse de l’État par l’action musclée, et un élément identitaire renforcé par la confrontation.
Déprédations, geste politique et expression de la colère
La présence des blocs ne signifie pas nécessairement violence ou vandalisme, estiment certains. Le porte‑parole de la police genevoise indique que des manifestations ont pu se dérouler sans affrontements lorsque les effectifs policières étaient réduits. Pour Hugo, les méthodes employées expriment une forme de colère et de contestation, qui peut viser des vitrines d’entreprises jugées complices du génocide à Gaza ou d’autres symboles perçus comme problématiques.
Les dégâts massifs constatés à Berne ont touché des enseignes symboliques comme UBS, pointées du doigt pour leurs profits liés à l’armement israélien. Ces actes sont vus comme une expression politique par certains participants, même si d’autres estiment que certains moments de casse n’ont pas de sens.
Phénomène complexe et évolution
Le phénomène reste complexe et évolutif, suscitant des débats publics et militants sur l’efficacité et l’éthique des méthodes du black bloc pour défendre une cause.
Hugo reconnaît qu’il est possible qu’il cesse de participer aux blocs dans le futur. Pour Marco Giugni, l’explication de la violence se décompose entre instrumentalisme et dimension identitaire.
Les dégâts observés à Berne, notamment sur UBS, illustrent les enjeux symboliques des manifestations et les tensions entre sécurité publique et protestation politique.
Réflexions et débats
Le sujet demeure clivant et nourri par des opinions diverses au sein du monde militant et du grand public, sur l’utilité et les répercussions des black blocs lors des manifestations.
Mathilde Salamin et Pierrik Jordan — prénom d’emprunt