On l’avait connue adaptant les textes “Putain” et “Folle” de la Québécoise Nelly
Arcan pour la scène en 2024. Cet été, c’est en romancière, diplômée de
l’Institut littéraire suisse de Bienne, qu’Alice Botelho était invitée au Livre
sur les quais à Morges pour y présenter son premier texte, “Folie entre mes
doigts”. Elle y poursuit une réflexion autour de la condition féminine et la
notion de “folie” en narrant l’internement sur quelques mois d’Alice, sa
narratrice, pour soigner une décompensation psychotique.
Cette jeune femme, tout juste sortie de l’adolescence développe, dans ce
microcosme dur et surmédicamenté, des affinités avec une patientèle souvent
féminine et presque systématiquement brisée par les violences sexuelles,
conjugales ou familiales.
> Absorbée, elle me remarque en entendant le bruit de la chaise tirée. Ses yeux
> se lèvent en sursaut. Quelque chose de sauvage et d’apeuré dans son regard. Je
> la salue. Je m’appelle Josie, me dit-elle mécaniquement avant de retourner à
> son occupation.
>
> Extrait de “Folie entre mes doigts” d’Alice Botelho
TERRIERS ET MIROIRS
L’occasion était trop belle pour qu’Alice Botelho se prive de donner son prénom
à sa protagoniste. “Le fait de l’avoir gardé était pour moi une façon de
travailler sur un alter et d’aller vraiment au fond de la langue avec ce ‘Je’,
précise-t-elle dans le podcast QWERTZ du 1er octobre. D’aller autant me
découvrir des caractéristiques de quelqu’un que j’aurais pu être ou que je ne
pourrais jamais être”. Seconde coïncidence favorable: Alice est aussi le prénom
de la protagoniste la plus hallucinée de la littérature enfantine, celle du pays
des merveilles, autre huis clos de la folie.
Dans “Folie entre mes doigts”, la jeune femme est accueillie par un certain
monsieur Queur, évocation lointaine d’une reine qui décapite à tout va. “Perdre
la tête” est une locution qui résume grossièrement la folie. Comme l’héroïne de
Lewis Carroll qui mange des champignons pour changer de taille, qui voit un
monde inversé dans le miroir et qui chute dans le terrier, Alice se perçoit
fragmentée. Son reflet lui semble étranger, sa perception d’elle-même varie avec
la prise de médicaments. Et puis, toujours, ces sensations de chute.
> Il y a des phrases du conte qui sont intégrées dans le roman. (…) C’était
> important pour moi, car il faut rappeler que Lewis Carroll était quand même un
> pédophile. Il a écrit ce conte pour Alice qui avait moins de 10 ans et dont il
> était amoureux.
>
> Alice Botelho, autrice de “Folie entre mes doigts”
PLUS ON EST DE FOLLES …
A travers l’expérience de son internement, Alice trouve un ancrage plus solide
auprès des habituées que du corps soignant. Il y a Josie, qui parle à un
moineau, Christelle et son look de hardeuse et ses ongles rose fuchsia, Vicky
qui boîte et roule les “r”, Alexandre, ancien startuppeur qui a choisi de vivre
comme un bébé. Enfin, le “chanteur connu” qui veut rester incognito. Et puis
surtout, il y a la féroce Maude, auprès de qui Alice apprend qu’elle peut crier.
Dans un temps dilaté qui se calcule plus en cigarettes fumées qu’en heures ou
semaines, les femmes échangent, les langues se délient. On rit, on se gêne
parfois, surtout quand les patientes découvrent qu’elles ignorent la
signification du mot cyprine. Qu’à cela ne tienne, Alice la leur fera découvrir
à l’occasion d’une sortie dantesque et chaotique au sex shop XXL du coin.
MICROCOSME
A travers une écriture qui vit au rythme des prescriptions médicamenteuses,
Alice Botelho dépeint une micro-société avec ses cadres, ses débordements et ses
individus laissés à la marge. Sans pour autant exclure la réalité difficile d’un
personnel médical sous pression, le roman laisse la place à la froideur
répétitive des consultations psychiatriques et la violence de traitements qui,
parfois, ressemblent à ceux d’autrefois: électrochocs, camisoles chimiques ou
encore, pour les cas les plus durs, l’isolement.
“Folie entre mes doigts” rappelle, au même titre que le film “Vol au-dessus d’un
nid de coucou” de Milos Forman (adapté du roman de Ken Kesey), que ce qui est
cassé est parfois, malheureusement, irréparable.
Ellen Ichters/sf
Alice Botelho, “Folie entre mes doigts”, ed. Mercure de France, août 2025.
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