Contexte et enjeu du roman Détruire tout

Bernard Bourrit, alors qu’il menait des recherches sur l’anarchisme, porte son regard sur une coupure de presse qui attire son attention. Le 4 juin 1967, dans un village du canton de Fribourg, un jeune homme éconduit fait exploser l’immeuble de son ancienne petite amie.

Une enquête littéraire sur un fait divers

Ce premier roman, publié sous le titre Détruire tout, est une tentative d’analyse par l’écrivain, essayiste et traducteur pour comprendre ce meurtre que l’époque ne nommait pas encore comme féminicide. Il est rappelé que, à l’époque, la violence masculine envers une femme était souvent justifiée par des arguments sur la frivolité ou les mœurs de la victime.

Cartographie d’un meurtre

Carmen n’avait pas vingt ans et est assassinée deux fois: d’une part par Alain, son ex-fiancé; d’autre part par une justice qui ne condamna le coupable qu’à sept ans de prison. Pour appréhender les mécanismes du fait divers, Bourrit déplie les circonstances du drame, se glisse dans les perspectives des protagonistes et examine les rôles qui leur sont assignés.

Agrandir le regard sur le cadre villageois

Le récit s’ouvre sur l’atmosphère étouffante de la campagne, ce pays à vaches où chacun surveille et juge la vie des voisins. Selon Bourrit dans le podcast QWERTZ du 20 novembre, le territoire a longtemps été enclavé et n’a été rendu accessible que par les voies de circulation à la fin des années 1980. Le reste du texte demeure volontairement flouté: il s’agit d’une vie villageoise marquée par les saisons, le travail et l’émergence de la modernité, que l’auteur cherchait à figurer avec précision.

Évoquant le cadre, l’auteur précise que la réalité du lieu n’est pas entièrement fixée, afin de laisser place à l’interprétation tout en privilégiant l’observation des rapports humains et des mécanismes sociaux.

Écrire à coups d’échos

La toile narrative adopte une esthétique cubiste. Détruire tout se construit comme un réseau de fragments sans points ni majuscules, selon une architecture rhizomique où des éclats de phrases viennent percuter les faits pour en saisir les contours. Les sources documentaires s’intègrent au récit; l’archive se mêle au langage afin de rendre présent un réel que les sciences humaines seules ne sauraient saisir. De temps à autre, un enquêteur intervient pour organiser les pistes, pointer les hypothèses et déconstruire les stéréotypes.

Extrait de Détruire tout : Maintenant qu’il a construit son triangle père-fille-gendre, il peut serrer les écrous — on sait que: 1) André sympathise avec Alain, quoique, à aucun prix il ne le voudrait pour gendre; 2) Carmen aime les garçons, parmi eux Alain, et c’est déjà trop; 3) Alain songe au mariage, car, croit-il, seule une union légitime pourrait le grandir.

Thèmes, cadre et portée du livre

La littérature s’empare souvent des faits divers, ces événements dramatiques qui reflètent les symptômes de leur temps: inégalités sociales, violences conjugales, précarité, système judiciaire, opinion publique, évolution des mœurs.

Dans Détruire tout, ces thèmes existent, mais Bourrit bouscule le cadre narratif traditionnel pour en élargir les échos, la portée et la légitimité des points de vue.

Salomé Kiner/ld

Bernard Bourrit, Détruire tout, Editions Inculte, septembre 2025.

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