Contexte et arrestation de Giovanni Brusca
«U Verrù», « le porc ». À Palerme, ce surnom était bien connu. Tony Gentile, photographe de presse originaire de la ville, se rappelle le jour de mai 1996 où il a assisté à l’arrestation de Giovanni Brusca, l’un des hommes les plus recherchés d’Italie.
« C’était comme une arène, une corrida… Il a été montré, exhibé dehors… Il y avait des dizaines de policiers et beaucoup de personnes qui hurlaient contre lui », se rappelle-t-il, dimanche dans le 19h30.
Avec Toto Riina, Giovanni Brusca fut l’un des chefs les plus sanguinaires de la mafia sicilienne. Son arrestation a fait le tour du monde grâce à la photo de Tony Gentile qui a fait la Une du Time Magazine. « La couverture du Time a été dédiée à Giovanni Brusca, avec tout ce que cela représente. C’était un fait incroyable, et moi j’étais là, et c’est une de mes photos », raconte-t-il.
Le contexte criminel et le parcours jusqu’à la collaboration
Le rôle dans l’attentat contre le juge Falcone et les suites
Giovanni Brusca est l’homme qui a appuyé sur le détonateur ayant fait exploser 300 kilos de dynamite au passage de la voiture du juge Falcone, le 23 mai 1992. À l’époque, le jeune magistrat Pietro Grasso ne pouvait imaginer que Brusca deviendrait, quelques années plus tard, l’un des plus importants collaborateurs de justice.
« Il a parlé d’au moins 150 homicides et attentats… des centaines et des centaines de personnes ont été condamnées sur la base des déclarations de ce collaborateur. Donc sa libération est le prix qu’il faut payer pour nous permettre de combattre ces phénomènes », explique Pietro Grasso, ancien procureur national antimafia et plus tard président du Sénat mais qui reste impliqué aujourd’hui dans la lutte contre la criminalité organisée.
La loi sur les repentis et les implications de la libération
La loi sur les repentis, voulue par le juge Falcone lui-même, visait à briser l’omerta. Elle permet aux mafieux qui coopèrent avec la justice d’obtenir des réductions de peine. Après vingt-huit ans de détention, Giovanni Brusca a retrouvé la liberté définitivement en août dernier, vivant quelque part en Italie sous protection et dans l’anonymat.
« Avec la libération de Giovanni Brusca, l’État a gagné trois fois: la première fois parce que nous l’avons arrêté, la deuxième parce que nous l’avons convaincu de collaborer et d’arrêter des centaines de mafieux, et la troisième parce que l’État a tenu sa promesse d’appliquer la loi en le libérant. Un État est crédible quand il applique ses lois », souligne Pietro Grasso.
Réactions des familles et mémoire des victimes
Mais cette vision est loin d’être partagée par les familles des victimes. Tina Montinaro porte à travers l’Italie les restes de la Fiat Chroma qui transportait son mari Antonio, chef de l’escorte du juge Falcone. La carcasse est devenue un symbole de la violence mafieuse, utilisé pour sensibiliser les jeunes à la lutte anti-mafia.
« Nous sommes les familles dignes des policiers, et mon mari est mort avec une dignité que Giovanni Brusca n’aura jamais », déclare Tina Montinaro. « Nous ne connaissons pas encore toute la vérité. Donc Giovanni Brusca… qu’a-t-il dit? Pourquoi est-il hors de prison? Cette libération est une défaite. Le reste des informations nous échappe et, pour l’instant, seule notre condamnation à vie nous accompagne », poursuit-elle. Pour elle, apprendre que l’auteur de l’attentat est aujourd’hui libre constitue une douleur supplémentaire.
« Nous sommes les familles dignes des policiers, et mon mari est mort avec une dignité que Giovanni Brusca n’aura jamais. Tous les mafieux, tous les repentis n’auront jamais cette dignité, et seulement cela me fait sentir un peu mieux, parce que nous pouvons marcher la tête haute ».
Valérie Dupont/hkr